15 juillet 2024
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Séminaire de l’Observatoire à Dakar – 10 mai 2023

L’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix a organisé le 10 mai 2023 à Dakar à l’Hôtel Savana une journée de séminaire en présentiel sur le thème « Les défis politiques, capacitaires et opérationnels de la mise en place d’une force de paix africaine sous mandat onusien ». Elle s’inscrit dans le climat de réflexion et de discussion au niveau onusien sur l’élaboration d’un Nouvel Agenda pour la paix prévue fin 2024, dans le prolongement de la volonté du Secrétaire général Antonio Guterres de repenser la façon dont l’ONU endosse son rôle de garant de la paix et de la sécurité internationale dans un monde en mutation.

Elle a été organisée dans le cadre du partenariat de longue date avec la Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie (DGRIS) du ministère des Armées français, partenaire fondateur de l’Observatoire, et avec le soutien du bureau Paix et Sécurité Centre de Compétence Afrique Subsaharienne (PSCC) de la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES).

Le séminaire entendait revenir sur les évolutions du maintien de la paix sur le continent africain et faire avancer des pistes sur les possibles adaptations du maintien de la paix pour lui permettre de mieux répondre aux difficultés croissantes rencontrées par les missions multidimensionnelles. Les échanges ont permis de mettre en lumière un nouveau modèle d’opérations de paix placées sous l’égide de l’Union africaine, susceptibles de mieux s’adapter aux réalités contemporaines des théâtres d’opération du continent africain, tant en s’interrogeant sur les possibles étapes de sa mise en place effective.

Ces débats s’inscrivaient dans la continuité des deux dernières conférences organisées par l’Observatoire, d’abord à Kinshasa en mai 2022 lors d’une journée de séminaire dédiée aux enjeux de l’externalisation des OP et du rôle joué par les organisations sous-régionales africaines dans le renforcement du maintien de la paix sur le continent puis à New-York, au siège des Nations unies en novembre 2022 lors journée sur les outils politiques et militaires qui pourraient venir compléter à l’avenir les opérations de paix multidimensionnelles, voire même s’y substituer dans certains cas, afin de répondre à la complexification des théâtres d’intervention du maintien de la paix.

La journée a été initiée par une session introductive présentant les axes et modalités d’échanges de la journée et animée par Solène Jomier coordinatrice de l’équipe de l’Observatoire. Clémence Buchet-Couzy, chargée de recherche au GRIP et membre de l’équipe de l’Observatoire, a ensuite présenté les différentes activités composant ce projet pluridimensionnel et rappelé ses objectifs principaux. Enfin, Mamourou Sidibé, chargé de programme à la FES, a présenté les activités du bureau PSCC.

Retrouvez ici le programme et le synopsis de l’événement

Intervention liminaire – Le Nouvel Agenda pour la paix : enjeux et défis du maintien de la paix de l’Afrique

Youssef Mahmoud Ancien Représentant spécial pour la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT), et conseiller principal auprès de l’International Peace Institute (IPI) a introduit cette journée de réflexion en analysant les premières informations sur le Nouvel Agenda pour la Paix (NAP) et plus particulièrement la manière dont les opérations de paix sont prises en compte dans l’élaboration de ce dernier.

Dans son intervention il est revenu sur le fait que le monde actuel est bien différent que celui dans lequel le maintien de la paix onusien a été pensé et créé et qu’il semble que le référentiel actuel n’est plus adapté à la situation. Selon lui, une approche plus holistique et inclusive est nécessaire ; il faut lier améliorer les liens entre la paix, le développement durable, l’action climatique et la sécurité alimentaire. Il estime que l’approche onusienne est également trop « top-down » et recommande une meilleure prise en compte du terrain, via une approche bottom-up. Une notion qu’il traduit à travers une métaphore parlante : « la paix c’est comme un arbre ça pousse du bas vers le haut ».

Dans le NAP, la vision de la paix promue est celle d’une paix dite négative, proche des notions de sécurité et de stabilité. « L’ONU depuis sa création n’a fait que perfectionner l’art de la paix négative » a-t-il affirmé pendant son intervention. On risque de perpétuer une conception limitée de la paix, au détriment d’une compréhension plus durable et plus pérenne. Le NAP pourrait au contraire être l’occasion de renouveler ces hypothèses de base et la façon dont on négocie et pérennise la paix et la sécurité, sur le continent africain et ailleurs.

L’intervention de monsieur Youssef Mahmoud est basée sur sa publication : « A New Agenda for Peace: Making Peace Plural and Healing Historical Traumas », International Peace Institute, 27 avril 2023.

Retrouvez ici la vidéo de l’intervention complète de Youssef Mahmoud

Panel 1 : Quels cadres politiques et normatifs d’action pour les opérations de paix sous l’égide de l’Union africaine  ?

Ce premier panel, modéré par Rémy Arsène Diousse, Chargé de programme au sein de la FES/PSCC, partait de la déclaration du Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres qui a reconnu récemment la nécessité d’une nouvelle génération de missions « d’imposition de la paix » et d’opérations antiterroristes, dirigées par les forces régionales. L’objectif de ce panel était de discuter des enjeux politiques de la mise en place d’opérations désormais placées sous l’égide de l’Union africaine et/ou mises en place par les organisations sous-régionales africaines.

Ladislas Nze Bekale, Chef d’Unité Gestions des Installations, Direction des Opérations, Commission de l’Union africaine (UA), premier intervenant de ce panel a présenté l’Architecture africaine de paix et sécurité (APSA) de l’UA ainsi que les évolutions des opérations de soutien à la paix. Il a souligné le fait que la question du financement reste le premier défi de ces opérations. Cette année le fonds de la paix de l’UA devrait atteindre 400 millions de dollars de contributions, une valeur sans précédent. Évoquant les outils déjà existants sur le continent, il a appelé à faire évoluer la Force Africaine en Attente (FAA) à une « Force africaine en Action », plaidant pour un outil plus opérationnel, plus réactif et donc plus adapté aux besoins du continent.

Michel Liégeois, professeur à l’Université Catholique de Louvain a quant à lui commencé son intervention par rappeler qu’il n’existe pas de consensus concernant une seule doctrine de maintien de la paix. S’intéressant au possible cadre politique qu’il faudra mettre en place pour opérationnaliser des opérations de paix sous l’égide de l’UA ainsi que sur le rôle du Conseil de sécurité de l’ONU (CSNU), il a proposé un exercice de politique fiction imaginant les différentes étapes possibles lors d’une procédure de décision d’envoi d’une telle opération. Cela lui a permis de souligner qu’une telle procédure prendrait plusieurs mois et n’est donc pas adaptée à des situations d’urgence. Dans les risques et défis à prendre en compte, il rappelle qu’au niveau financier les pays du Nord donneront sûrement plus et demanderaient potentiellement un droit de regard, notamment sur le continent africain, avec des risques d’interférence. Une autre question est celle du rôle du Secrétaire général des Nations unies face à celui du Département des Opérations de paix (DOP) et comment répartir les tâches. Pour que de telles opérations fonctionnent il est nécessaire d’avoir une forme de cohérence au niveau africain, or parfois les positions des pays africains diffèrent au CSNU et au Conseil de l’APSA. Il conclut sa présentation en mettant en lumière le fait qu’ici on se focalise sur des solutions avant tout militaires alors que le tout militaire ne fonctionne pas s’il n’est pas associé à d’autres aspects, il n’y a pas de transformation durable sans stratégies inclusives.

Youssef Mahmoud, s’est pour sa part appuyé sur son intervention liminaire et a rappelé l’importance d’une vision holistique de la paix, il faut faire la paix avec la nature et un passé douloureux et une paix avec une vision politique. Ensuite, il a souligné qu’il faut plus écouter les organisations de la société civiles locales et avoir une approche plus bottom-up, qui n’est pas celle de l’ONU actuellement. L’ONU est encore trop centrée sur la sécurité et non sur la paix selon lui ; les instruments de la paix en deviennent des objectifs en soi, ce qui érode leur pertinence. Il estime que le risque est de voir simplement la « basse besogne » du maintien de la paix être déléguée aux africains, sans perspective de solutions plus durables. Il plaide pour qu’il y ait plus d’écoute au niveau international, une écoute qui doit servir à « comprendre » avant de vouloir sauver. Et qui doit aussi se traduire par un respect accru des populations et de leurs besoins.

Panel 2 : Vers une force régionale africaine pérenne ? Modalités et prérequis pour une opérationnalisation efficace

Ce deuxième panel avait pour objectif d’examiner les défis pratiques et concrets de la mise en place d’une telle force africaine de paix, notamment au niveau financier, logistique et capacitaire. Il fallait pour cela revenir sur les premières expérimentations et expériences similaires en la matière, afin de tirer quelques leçons souhaitables au profit d’une mise en place effective. Ce panel était modéré par le Général Babacar Gaye, ancien chef de l’État-Major général sénégalais et commandant de la force de la MONUC et de la MINUSCA, qui a introduit la session en rappelant la faiblesse des opérations de paix onusiennes notamment en raison de leurs capacités limitées. Le fait que l’usage de la force ne soit pas dans les domaines d’action prioritaires d’A4P a marqué selon lui le début de maturation du projet d’une force africaine sous mandat onusien. Enfin, il a souligné que les déficits capacitaires et financiers ont altéré l’originalité de la réponse africaine.

Le Général Mohamed Znagui Ould Sid’ahmed Ely, chef du Bureau Défense Sécurité du G5 Sahel, a centré son intervention sur les leçons apprises du G5 Sahel. Selon lui la Force conjointe lui a un peu volé la vedette. Il rappelle que ce sont les États membres qui fournissent les équipements et paient les troupes et paient également une contribution trimestrielle. Les contributions extérieures sont rares, même si elles existent comme celles du Sénégal, du Rwanda ou de la CEDEAO. Depuis le retrait du Mali, on note un recul significatif des contributions. Concernant l’interopérabilité et les partenariats, il mentionne la création du collège de défense du G5 Sahel qui a permis d’harmoniser les procédures et réflexions. La pertinence du G5 Sahel reste intacte selon lui mais les pays ont été déçus de la communauté internationale qui ne les a pas soutenus autant que prévu.

L’intervention de Bruno Mpondo Epo, directeur affaires politiques auprès de la MINUSMA, devait se pencher sur l’expérience de la MINUSMA et évaluer l’avenir de la mission onusienne dans ce cadre . En son absence pour raisons médicales, Michel Luntumbue, coordinateur scientifique de l’Observatoire, l’a remplacé au pied levé. S’intéressant plus largement aux initiatives africaines en matière de maintien de la paix, il est revenu sur la trajectoire de la Force africaine en attente (FAA) et des leçons à retirer de son parcours. Il estime que la FAA est l’exemple type des pays africains qui veulent prendre en main leurs problèmes sur le continent en étant complémentaires aux dispositifs onusiens, mais peinent en matière de mise en place. La volonté est donc bien présente. Reste que le continent ne dispose pas de manière effective et systémique de capacités de déploiement rapide, d’où un recours aux coalitions ad hoc comme mode d’intervention sur le continent. Ces différentes initiatives prouvent qu’il faut encourager la montée en capacité des forces africaines, capacités qui seront à l’avantage tant des outils africains de paix et de sécurité, que des outils onusiens.

Enfin, Cheikh Tidiane Gadio, Président de l’Institut panafricain de Stratégies, conclut ce troisième panel en s’appuyant sur son expérience en tant qu’envoyé spécial pour différentes organisations (Organisation internationale de la Francophonie et Organisation de la coopération islamique) mais aussi en tant qu’homme politique et ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal. Il dresse un bilan non exhaustif des menaces présentes sur le continent : islamisme, terrorisme, mais aussi économie criminelle et usage des nouvelles technologies par des groupes armés non étatiques. Il déplore également les « risques de déstabilisation » liés aux décisions d’acteurs internationaux sur le continent, à l’image des occidentaux dans la crise libyenne. Il estime que l’avenir de la paix en Afrique réside dans le respect des souverainetés africaines, et qu’à cet égard « la balle est dans le camp des africains ». Le continent a besoin de la volonté politique nécessaire pour faire le travail, et ainsi développer une capacité de maintien de la paix à son échelle. Mobiliser les équipements et les moyens nécessaires est la clé pour opérationnaliser une telle capacité.

Panel 3 : Adapter l’offre de formation des Écoles de maintien de la paix (EMP) pour répondre aux défis des nouveaux mandats

Modéré par Grégory Robert, spécialiste de programme maintien et consolidation de la paix, Organisation internationale de la Francophonie, ce dernier panel se concentrait sur les enjeux de formation des troupes francophones dans la perspective d’une nouvelle force africaine de paix.

Aïcha Pemboura, formatrice au sein du United States Institute of Peace (USIP), a commencé son intervention en mentionnant l’importance de l’enjeu de l’interculturalité dans la formation des troupes, notamment pour la protection des civil·e·s. Dans ce cadre, les interprètes sont très important·e·s et peuvent aider le personnel onusien à interagir avec les populations locales mais aussi entre eux. Elle souligne également les lacunes actuelles de formation sur les enjeux liés au genre surtout parce qu’une fois sur le terrain 80% des femmes se retrouvent cantonnées à des postes de soutien administratif alors qu’hommes et femmes sont censés avoir la même formation et la même opérabilité. Elle rappelle que malgré la résolution 1325 et l’Agenda Femmes, paix et sécurité il est encore difficile d’avoir des femmes dans les opérations de paix en raison de la culture traditionnelle des contingents et l’autocensure des femmes elles-mêmes.

Ensuite, le Lieutenant-colonel Thierry Marien-Parrier, des Éléments Français du Sénégal (EFS), a focalisé son intervention sur le travail de terrain des EFS et la façon dont ils préparent les contingents africains, notamment avant leur déploiement en opération de paix dans différents contextes. Il souligne le rôle crucial des EMP dans la formation, et explique qu’elles sont dans une phase d’autonomisation croissante dans la formation de leurs contingents. Il rappelle l’importance d’allouer des moyens adéquats à ces institutions, que ce soit en matériel ou en personnels d’encadrement qualifiés. Il insiste sur le besoin de systématiser les outils de RETEX (retour d’expérience) afin de renforcer le lien entre formation et projection, et permettre ainsi un cycle vertueux, via l’adaptation permanente des formations sur la base des constats de terrain et au service d’un meilleur ciblage des projections. Il réitère par ailleurs qu’une certaine fréquence de présence des troupes dans les EMP est nécessaire (via des systèmes de rotation), soulignant qu’un suivi plus resserré permet une meilleure acquisition et rétention des savoir-faire.

Grégory Robert, reprend les défis mis en avant dans la présentation et retient notamment le besoin d’avoir des référentiels de formation harmonisés au niveau continental et notamment des référentiels en français, rappelant ainsi l’existence du projet REFFOP qui entend combler ces lacunes.

Le général El Hadji Babacar Faye, Chef de l’État-Major – Bureau des affaires militaires – opérations de paix du Sénégal, a continué sur les enjeux de besoin de cohérence des formations au niveau du continent africain. Si le continent dispose de multiples capacités en matière de formation, les troupes qui en sortent doivent faire face à des menaces de plus en plus complexes, protéiformes qui exigent une forte spécialisation, et un niveau élevé d’interopérabilité. Si les dispositifs de formation existent bien au niveau continental, le général estime que leur multiplicité rend complexe leur intégration au sein d’un système commun. Cours variant d’une institution à l’autre, partenariats avec des interlocuteurs variables, niveaux inégaux de capacitation, mandats qui diffèrent, sont autant de freins qui complexifient une possible mise en commun. À ce titre, le général souligne qu’il n’existe pas de structure centralisatrice pour la formation au sein de l’Union africaine. Sa création est nécessaire à son avis dans la perspective d’un maintien de la paix sous l’égide de l’UA, quoiqu’elle devra travailler en collaboration étroite avec l’ONU, pour répondre au mieux aux besoins de formation sans alourdir les démarches et sans créer de doublons. Une telle structure pourrait s’appuyer sur les centres régionaux pour assurer une forme de suivi mais aussi pour proposer des formations plus spécifiques (par exemple sur la formation des formateurs), ou bien des exercices de cohésion et d’interopérabilité. Elle pourrait aussi encourager l’harmonisation des enseignements et le renforcement des partenariats entre les pays contributeurs.

Crédits photo : FES et OBG